PRÉFACE
En République démocratique du Congo, la mise en place progressive d’une presse libre est un exercice qui a commencé bien avant la fin de la dictature.Il y a deux décennies déjà que des éditeurs, des professionnels des medias ont estimé que l’information était un élément essentiel de la démocratisation de la société.
Au début, il y eut des essais, des erreurs, des corrections, de la répression aussi. De nos jours encore, des journalistes sont victimes de violences, objet de menaces et une dizaine d’entre eux ont trouvé la mort à cause de l’exercice de leurs fonctions.
Le sujet est donc sensible, car la presse, souvent politisée, fait partie du débat politique. Certes, elle informe, révèle, met à plat les pièces de débats importants et aide le public à formuler son jugement. Il suffit de comparer la presse congolaise avec celle de pays voisins pour mesurer le chemin parcouru, comprendre l’importance de la contribution de la presse au débat démocratique, à la confrontation des idées.
Même si la presse écrite connaît d’importants problèmes de diffusion, même si la précarité économique fait peser une épée de Damoclès sur la plupart des organes de presse, il n’en demeure pas moins que les journaux, les chaînes de télévision, les radios contribuent, tous ensemble et avec des qualités diverses, à élever le niveau de conscience politique de la population.
Combien de fois, discutant avec l’« homme de la rue », ne nous est-il pas arrivé d’admirer son degré d’information, la qualité de ses analyses, parfois qualifiées rapidement de « bon sens populaire » alors que les appréciations, souvent très argumentées, démontraient à quel point le grand public, malgré la modicité de ses moyens, était au fait des grandes questions de l’heure. Comme si l’information, se diffusant par capillarité, finissait par gagner toutes les couches de la société !
Ce grand intérêt du public congolais pour la presse a entraîné la prolifération des medias, suscité les initiatives du législateur et… engendré à la fois infractions au droit de la presse, sanctions et contestations…C’est pourquoi le travail de Maître Charles-M. Mushizi vient à son heure.L’auteur, juriste et spécialiste du droit de la presse, a notamment été Rapporteur général de l’«Atelier national sur la dépénalisation des délits de presse » qui s’était tenu en 2004 au Centre Catholique Bondeko de Kinshasa, avant d’être aussi auteur de plusieurs analyses à caractère juridique touchant à la situation tant de la presse congolaise qu’au statut des professionnels des médias congolais.
Dans un essai exhaustif, il fait la liste de toutes les infractions qui peuvent être commises dans le cadre de la fonction de journaliste, injures et outrages, incitations à la discrimination, au racisme, à la violence, plagiat, violation du droit à l’image, calomnies et tant d’autres…L’auteur s’interroge sur la pertinence d’une revendication fréquemment présentée par la profession, à savoir : « la dépénalisation des délits de presse » et il s’interroge tout particulièrement sur la deuxième expérience de régulation des medias initiée en août 2011, marquée par la mise en place du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel et de la Communication (CSAC) mais aussi, « par la persistance d’interventions intempestives de la justice institutionnelle et du pouvoir exécutif dans la répression des infractions commises par voie de presse, sur fond de corruption, de manque d’indépendance, d’inefficacité et de faible crédibilité. »L’auteur s’interroge sur l’opportunité de dépénaliser les « délits de presse », ce qui équivaudrait à placer les journalistes en dehors du champ d’application de lois valables pour tous les citoyens et il examine les ressources offertes par l’application du code pénal.
Très documenté, très précis, l’ouvrage de Maître Charles-M. Mushizi présente la situation prévalant actuellement en RDC, évoque les approches choisies dans d’autres pays d’Afrique ou d’Europe et donne entre autres, un large écho à la situation prévalant en Belgique. Sans relever cependant qu’en Belgique a été créé en 2009 le Conseil de Déontologie Journalistique, dans lequel se retrouvent des représentants des éditeurs, des journalistes, des rédacteurs en chef et des journalistes. La fonction de ce Conseil en Belgique est triple : il est chargé de médiatiser les infractions de presse, d’informer et surtout de réguler la profession.
Autrement Les infractions de presse Options de réformes9dit, en cas de litige, n’importe quel citoyen, n’importe quelle entreprise ou institution peuvent s’adresser au Conseil et arguer que le journaliste ou l’organe de presse ont manqué à la déontologie. La sanction prononcée par le Conseil n’est jamais pénale, mais elle peut être pire, car le « name and shame » (nommer et blâmer) par les pairs, largement médiatisé, est considérée comme très douloureux pour l’honneur et la réputation du journaliste ou de son organe de presse.
C’est d’ailleurs dans le même sens que va la conclusion du présent ouvrage, qui préconise le renforcement et la crédibilisation de l’OMEC, l’instance d’autorégulation de la presse congolaise, qualifié de « policier de l’éthique », sorte de « tribunal des pairs », qui mériterait de s’ancrer dans le paysage institutionnel congolais.Outil d’information, de réflexion sur l’état actuel de la presse congolaise, l’ouvrage de Maître Charles-M. Mushizi permet aussi de discuter d’éventuelles réformes et suscitera, on peut l’espérer, de fructueux débats tant au sein de la profession que dans le monde politique.
Colette BRAECKMAN, journaliste
Bruxelles, Belgique
1 commentaire(s)
Un excellent livre